Après des mois de consultations approfondies, la ministre française de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, a dévoilé le 30 octobre dernier son projet de réforme du système d’admission des universités publiques françaises. La réforme a été précipitée en raison de la tourmente de l’inscription aléatoire de 3000 bacheliers dans 169 programmes universitaires. La procédure aléatoire concernait les domaines d’études où les demandes des étudiants dépassaient le nombre de places disponibles (notamment en études sportives, en psychologie et en droit). Le nouveau système était en place depuis quelques années, mais il est demeuré inaperçu jusqu’à ce qu’un grand nombre d’étudiants soient touchés cette année. Un bug dans le logiciel – Admission Post Bac (APB) – a permis à 2016 bacheliers de relancer leur première année universitaire dans un domaine différent. Le résultat a suscité des protestations de la part des syndicats étudiants tout au long de l’été.
Cette erreur technique a donné autant d’importance aux candidatures de 2016 qu’à celles de 2017 et a révélé un défi structurel de l’enseignement supérieur public français. Au cours des trois dernières années, le système a dû absorber 30 000 à 40 000 étudiants de plus chaque année, une tendance qui est censée se poursuivre jusqu’en 2020. Faisant référence à la loi française qui donne à tous les bacheliers le droit de s’inscrire dans l’enseignement supérieur, les associations étudiantes réclament une augmentation substantielle des fonds publics pour permettre aux universités d’y répondre. Les protestations ont été largement couvertes par les médias et ne pouvaient être ignorées par le nouveau président Macron et son gouvernement.
Avant 2008, lorsque l’APB a été mis en place, les étudiants devaient classer 24 choix de diplômes et les places universitaires étaient attribuées au moyen d’un algorithme complexe qui tenait compte des notes des écoles secondaires et de l’emplacement géographique du domicile de l’étudiant. Avec la réforme de 2017, les étudiants ne peuvent faire que 10 choix de programmes non classés dans n’importe quelle université du territoire national. Mais l’innovation majeure est double. Premièrement, les enseignants du secondaire ont maintenant la responsabilité de fournir une orientation et d’offrir des recommandations fondées sur les choix faits par un élève. Deuxièmement, même si la décision quant à l’endroit où faire une demande demeure du ressort de l’étudiant, les universités ont toujours l’autonomie et le droit de les rejeter.
Les syndicats étudiants restent divisés sur la proposition du gouvernement. L’association réformiste, la FAGE, aujourd’hui leader au niveau national, considère la décision du gouvernement de permettre aux étudiants de décider où étudier comme une victoire. D’autre part, l’UNEF de gauche prétend que le projet du gouvernement porte atteinte au principe juridique français de l’enseignement supérieur pour tous et appelle à des manifestations. Il est surprenant de constater que les lycéens et les étudiants ne sont pas faciles à mobiliser ; la FUNU semble ignorer que le tabou de l’admission sélective a pris fin il y a longtemps. Une enquête menée par le magazine L’Étudiant en 2016 auprès de 2500 lycéens et étudiants universitaires indique que plus de 57% sont en faveur d’une certaine sélection.
Ces chiffres surprenants peuvent s’expliquer par le fait que l’enseignement supérieur public français est extraordinairement diversifié et que les établissements appliquent des critères de sélection différents. Il est bien connu que les universités à inscription libre coexistent avec les grandes écoles très sélectives. Mais le public ignore généralement que les universités publiques françaises ont également évité de traiter tous les étudiants entrants sur un pied d’égalité en appliquant plusieurs « astuces » pour contourner la politique de « non sélection ». Certaines universités, comme l’Université Paris Dauphine ou l’Université de Lorraine, ont créé un statut spécifique de grand établissement, qui leur permet d’introduire des programmes sélectifs. C’est le cas des Instituts Universitaires de Technologie, créés au milieu des années 1960, qui attirent de plus en plus d’étudiants qui n’ont pas le capital économique ou culturel nécessaire pour s’inscrire dans les grandes écoles, mais qui ont de bons résultats scolaires. Il y a aussi le phénomène des doubles licences – des programmes universitaires qui combinent deux disciplines académiques – et d’autres nouveaux programmes de premier cycle autorisés par le ministère pour filtrer les admissions des étudiants. Par exemple, offrir un programme complet enseigné en anglais est une façon de créer un processus de sélection. Bien que ces exemples restent marginaux dans le paysage français de l’enseignement supérieur, ils révèlent l’agilité des universités publiques à développer des stratégies pour empêcher les meilleurs étudiants d’abandonner leurs salles de classe au profit des institutions d’élite ou de s’inscrire dans des institutions privées, secteurs qui accueillent au moins 20% des étudiants français selon le sociologue François Vatin. Au total, les experts estiment que les programmes d’enseignement supérieur sélectif concernent environ 60 % des étudiants français.
Le projet de loi de Frédérique Vidal a été présenté au Parlement des députés en février. Le principal syndicat étudiant national (FAGE) a soutenu « pas de sélection » mais en même temps préconise une réforme. Sans grande surprise, le projet de loi a été adopté avec peu de protestations de rue, voire aucune.
Certains espèrent que cette « sélection douce » rétablira l’image dégradée de nombreuses universités publiques, considérées dernièrement comme la « voiture balai » (un dernier choix) dans le système d’enseignement supérieur. « L’absence de sélection a contribué à un faible taux d’obtention de diplôme ; les étudiants, pour leur part, abandonnent souvent avant même de passer les examens parce qu’ils ont atterri dans un programme particulier par défaut. Les membres du corps professoral sont démoralisés en enseignant à des étudiants ayant des antécédents académiques faibles. Les optimistes considèrent la réforme comme un moyen d’améliorer l’attractivité des universités, mais la question demeure : comment la réforme traitera-t-elle les étudiants les plus faibles ; dans quelle mesure les universités publiques assumeront-elles la responsabilité de les aider à rattraper leur retard ? Dans de nombreux programmes de premier cycle, les membres du corps professoral sont submergés par d’importantes promotions d’étudiants et manquent de ressources pour s’occuper de l’enseignement ou de l’évaluation des étudiants. Prendront-ils le temps d’élaborer des stratégies individualisées telles que des rencontres en personne, des programmes d’études personnalisés, etc. Les écoles secondaires aideront-elles leurs élèves à choisir les programmes d’études appropriés ? Il se peut qu’ils n’aient pas les ressources et les incitations nécessaires pour le faire. Les enseignants du secondaire peuvent ne pas avoir une vue d’ensemble adéquate des programmes d’enseignement supérieur disponibles et, lorsque l’étudiant prend la décision finale, ils peuvent trouver inutile de consacrer des ressources pour influencer une décision sur laquelle (en fin de compte) ils n’ont aucun contrôle. C’est une énorme responsabilité d’influencer le destin d’un individu à l’âge de dix-huit ans.
Si le nouveau projet de loi sur l’enseignement supérieur continue de miner le tabou français sur la sélection, on peut se demander comment les éducateurs de tous les niveaux réagiront, surtout s’il n’y a pas de fonds supplémentaires pour les aider à assumer de nouvelles responsabilités. La réforme relancera sans aucun doute le débat en cours sur l’autonomie institutionnelle dans un contexte de rareté des financements publics.